Le pont de Montereau

Que s'est-il vraiment passé sur le pont de Montereau ?


He oui, toute la question est là!
Mais comment savoir en fin de compte?
Un point n'est pas discutable : c'est l'importance de cet évènement.

Par exemple, en 1521, lors d'une visite du roi François Ier à Dijon, la capitale bourguignonne, le roi voulut voir le corps de Jean sans Peur, et se fit ouvrir le tombeau du prince. A la vue de l'entaille que présentait le crâne du squelette, il s'étonna que l'arme dont s'était servi le meurtrier eût pu faire une aussi large ouverture : « Sire , lui dit le chartreux qui le conduisait, c'est le trou par lequel les Anglais sont entrés en France
Cette anecdote est bien représentative du poids historique de ce drame.

Quelles sont les sources :
Nous avons de nombreux réçits dont ceux de (dans le désordre) : Olivier de La Marche, le Religieux de Saint-Denis, Saint-Rémy, Pierre de Fénin, Monstrelet, Jean de Poitiers, Georges Chastellain, Thomas Basin, Jean Séguinat, Jean Jouvenel des Ursins...

Certains sont des extraits de chroniques, d'autres sont des passages de mémoires. La plupart ne sont pas écrits dans un but clairement politique.

Nous avons aussi le texte des lettres envoyées par le dauphin aux villes de France pour se justifier, ainsi que celle envoyée à son cousin, le nouveau duc de Bourgogne.

Ces sources sont donc forcément soit Bourguignonnes (les plus nombreuses), soit Armagnacs. Par là même, elles sont potentiellement partisanes...
Et selon leur origine, elles vont donner une version sensiblement differente de l'histoire.

Faut-il les suspecter d'office de transformer sciemment la réalité ?
Ce serait trop simple.

Ce qui s'est passé à Montereau va profondément marquer la suite de la guerre. L'enjeu est énorme. Les contemporains en sont parfaitement conscients et malgré leur parti, ils s'interrogent sincèrement sur les faits.
Les bourguignons, surtout, sont choqués de l'assassinat. D'autant plus que la personnalité de Jean était hors norme. Il semblait indestructible. C'est peut être ce qui explique l'abondance des recits bourguignons. Certains ne sont pas très crédibles, montrant le duc de Bourgogne aussi soumis qu'un agneau devant Charles, ce qui ne lui ressemble vraiment pas, si l'on regarde le reste de sa vie...

La question est : faut-il accuser le dauphin d'assassinat et de préméditation ?

Hé oui, nombreux sont les reçits qui croient à l'assassinat prémédité.
Au piège.
Il n'y a guère que le texte de Jean Jouvenel des Ursins qui innocente vraiment le dauphin.

La plupart incriminent d'ailleurs Tanneguy du Châtel comme acteur principal, voir comme instigateur. On lui prête une grande influence sur Charles et on pense même que c'est lui qui a pris la décision...
En dehors du fait qu'il l'a toujours nié, je pense qu'un élément l'innocente absolument : le roi Louis XI, longtemps plus tard, souhaitant envoyer une ambassade vers le duc de Bourgogne Charles le Téméraire (petit fils de Jean), choisit comme homme idéal Tanneguy Du Châtel, neveu de celui qui nous occupe dans notre histoire. Avouez que ce choix aurait été vraiment maladroit si la culpabilité du breton avait été, ne serait-ce que suspectée...

Mais aucun de ces recits n'a été fait par un témoin ayant vraiment assisté aux événements. Ils racontent ce qu'ils ont entendu dire. Parfois, leurs auteurs ont réalisé une véritable anquête. En fait, la plupart sont honnêtes et cherchent seulement la vérité. Mais les passions sont si puissantes, qu'ils peuvent, de bonne foi, s'être laissés influencer.
La version que nous avons mise en scène dans le Trone d'Argile, nous l'avons choisie après avoir étudié le dossier de près. Nous allons vous faire partager notre façon de procéder:

Premièrement : selon le vieil adage, à qui le crime profite ? La réponse est simple : au roi d'Angleterre. Lui seul avait beaucoup à perdre de l'alliance de tous les français et de la fin de la guerre civile (car là était le véritable anjeu de Montereau).
Peut il avoir joué un rôle dans cet echec?
J'avoue avoir été tentée de partir dans cette direction. Mais ce complot me paraissait un peu trop « énorme » pour être crédible... J'y ai donc renoncé.
En fait, il y a, à mon sens, quelque chose de « non prémédité » dans cette affaire, comme si quelque chose avait dérapé, qui innocente définitivement Henry.

Charles peut il avoir un intérêt quelconque dans la mort de son cousin ?

Non ! Au contraire.
Tous les historiens, passés et actuels, reconnaissent qu'il s'agit là d'une faute politique colossale, dont le clan du dauphin a eu bien du mal à se remettre.
Mais nous voyons les choses après les évènements. A l'époque, Charles a-t-il pu imaginer que la mort de Jean le servirait ?
Il faut se poser la question, essayer de se mettre à la place du dauphin et l'envisager...

Donc quel est le mobile ? Le vrai ?
Est-il possible que le mobile soit la vengeance ?

Vengeance pour la mort du duc Louis d'Orléans, jeune frère du roi Charles VI, assassiné le 23 novembre 1407 ?
En effet, l'origine de la querelle entre les Armagnacs et les Bourguignons, ce qui a déclenché la guerre civile, c'est le meurtre du duc d'Orléans.
Les Orléans ont voulu rendre justice à leur duc. Mais comme le nouveau duc, Charles d'Orléans (le poète) a été fait prisonnier à Azincourt, et est en Angleterre depuis, c'est son beau-père (le père de sa femme, Bonne), Bernard d'Armagnac, qui devient le chef du parti adverse.
Or, il n'y a pas de mystère dans cette affaire. Jean sans Peur affirme avoir fait tué Louis d'Orléans et fait même faire l'apologie de ce meurtre par Jehan Petit, docteur en théologie « ... feu duc d'Orléans trépassé, lequel fait a esté perpétré pour le très grand bien de la personne du roy, de ses enfants et de tout le royaume ... »

Le dauphin Charles, ou ses proches, comme Tanneguy du Châtel qui a commencé sa carrière auprès du duc d'Orléans, auraient-ils pu, à Montereau, saisir enfin l'occasion de venger Louis de France ?
J'ai beau savoir que la vengeance est un plat qui se mange froid, la, c'est peut être un peu trop froid, voir figé. En effet, 12 ans après, c'est peu crédible.
Charles avait 4 ans lors de la mort de son oncle. Il l'a à peine connu. L'épouse du duc est morte. Deux de ses fils sont prisonniers en Angleterre. Le troisième ne semble pas avoir eu de rôle politique important. Bernard d'Armagnac a été aussi assassiné en 1418...
Qui donc aurait tout risqué pour cette vengeance ?
Et puis, si là était vraiment le but, si c'était une obsession, il y a eu bien d'autres occasions, bien meilleures, bien plus précoces, et qui surtout n'auraient pas entaché l'honneur du dauphin.
J'ai tendance à penser que s'ils avaient vraiment l'intention d'assassiner Jean sans Peur, ils s'y seraient pris bien plus adroitement...
Je répond donc non au mobile de vengeance.

Y a t'il eu un mobile politique possible ?

La mort du duc pouvait-elle donner l'avantage au parti du dauphin ?
La réponse aurait pu être « oui » si Jean sans Peur n'avait pas eu d'héritier, ou tout au moins pas d'héritier adulte. Or, son fils, Philippe, avait 23 ans. Même peu interessé par les affaires françaises, il était obligé de venger son père et de prendre la tête du parti Bourguignon.
Comment le dauphin aurait pu imaginer que la disparition de Jean ferait arrêter la guerre ? Il fallait être stupide et je ne peux croire que Charles, un des plus grands rois de notre histoire, ait été si naïf. Ni lui, ni Tanneguy, ni aucun de ses conseillers, malgré la soif de vengeance du clan orléanais... Ni surtout Yolande d'Anjou, qui le conseillait, une des intelligences les plus fines de son temps.
Et puis, Charles VII n'est pas un assassin. Au cours de son long règne, il ne se comportera pas toujours en homme d'honneur. De fait, il abandonnera ses anciens alliés d'une manière assez inélégante. Mais ne les fera pas assassiner... Ce n'est pas sa manière de faire...
Donc pas de mobile politique qui tienne la route.

Et si nous regardions l'autre camp ? Le duc de Bourgogne aurait-il pu vouloir la mort du dauphin , dont les hommes, pour le défendre et le protéger, auraient tué le duc ?

C'est déjà plus plausible.
Le duc de Bourgogne a déjà pratiqué le meurtre politique, en faisant tuer Louis. Et cela lui a assez bien réussi, même si ça a bien failli tourner au vinaigre.
Il s'était ainsi débarassé du seul homme ayant une personnalité capable de lui tenir tête dans l'entourage du roi fou.
Ce que l'on a fait une fois, on peut le refaire. La situation est asses semblable. Charles est le seul à se dresser devant lui, en France, et surtout il n'a aucun héritier. Qui aurait pris sa succession s'il était mort ?
Son cousin Charles d'Orléans depuis sa prison anglaise ?
Peut être un fils de Yolande ?
Non.

Surtout que les français n'en peuvent plus de ces guerres fratriciides. Sans un vrai chef, le parti Armagnac aurait disparu.
Et Jean sans Peur aurait gagné... Une plus grande liberté d'action au royaume de France ? La facilité de négocier comme il le souhaitait avec le roi d'Angleterre ? peut être même la couronne, même s'il n'était pas l'héritier direct.
Après tout, des coups d'état, il y en a eu d'autres, et il était prince de sang, petit fils du roi Jean le Bon.
Est-ce là ce qui s'est passé ?

Ce qui est sûr, c'est que la paranoïa accompagnait cette rencontre. Tout le monde avait peur, tous se méfiaient. L'étrange structure de bois sur le pont en est le témoin. Quelle était son utilité ? Piéger ou protéger ?
Qui l'a imposée ? Charles ou Jean. Les sources ne sont pas claires.
Nous savons que Jean a fait retardé plusieur fois la rencontre. Qu'au dernier momant il a faillit ne pas y aller. Que son astrologue (le « juif » Mousque) lui a prédit qu'il n'en reviendrait pas... D'ailleurs, il était si inquiet que depuis des années il dormait dans une pièce ressemblant à un coffre-fort, tant il craignait d'être assassiné en dormant.
A mon sens, aucun plan concerté n'avait été mis en place, ni d'un coté, ni de l'autre (ni du troisième). Si Jean avait décidé la mort de son cousin, il aurait sans doute su le faire en prenant moins de risques pour lui-même. Que ce soit pour son honneur, ou pour sa précieuse vie.
Un accident, un dérapage du au stress général. La moindre chose a pu déclencher l'irréparable.

Mais pratiquement : qui a tué Jean sans Peur ?

Nous le savons. Trois des hommes du dauphin l'ont confessé : Ambroise de Loré, Bataille et le vicomte de Narbonne. Frottier, lui, tua le seigneur de Novailles, familier de Jean, qui semble avoir fait le geste malheureux qui déclenche tout. D'après Juvenal des Ursins, il aurait dit au dauphin : «  Monseigneur (...) vous viendrez à présent à votre père  » tout en tentant d'attraper Charles de sa main gauche tandis que de la droite il sortait son épée...